La
synagogue qui se dresse en bordure de la place dite de Jérusalem et
dans laquelle se rassemblent aujourd'hui les Juifs de la communauté
d'Avignon, n'est pas de construction aussi ancienne que celle de
Carpentras ou de Cavaillon.
Ce n'est pourtant qu'au XIIIe
siècle que la Juiverie (on disait ici la "carrière des Juifs" ou plus
brièvement la "carrière") se fixa là, sur le territoire de la paroisse St
Pierre. Le premier établissement des Juifs à Avignon qui remonte loin
puisque leur présence est signalée dans la région, dès le début de
l'ère chrétienne, est à situer sur la pente ouest du Rocher des Doms,
dans ce qui est aujourd'hui le bas du quartier de la Balance.
Ce
bâtiment, traditionnellement désigné sous le nom de "Eschole" ou "Ecole
des Juifs" a évidemment connu bien des transformations au cours des
siècles. Les documents qui nous en parlent, essentiellement des
"prix-faits" c'est-à-dire des contrats passés avec des artisans pour
des réparations ou des reconstructions, ne comportent malheureusement
jamais de plans, ce qui fait qu'il est impossible de reconstituer
clairement la disposition exacte de cet édifice ou plutôt de cet
ensemble car, outre la salle de prière et de réunion, on y trouvait
aussi les bains rituels pour les femmes, un four pour les pains azymes
(appelés "coudolles"), des latrines (toilettes), une pièce pour se
laver les mains, une salle pour les mariages, une salle d'études, etc.
: l'école était en même temps un centre communautaire.
La
pièce la plus importante était évidemment la salle où les Juifs se
réunissaient pour prier mais son aspect était très différent de celui
d'aujourd'hui. Les synagogues des Juifs d'Avignon et du Comtat étaient
construites, en effet selon une disposition très particulière qui a peu
d'analogie avec ce que l'on trouve dans le reste du monde juif. L'arche
où sont conservés les rouleaux de la Torah est bien normalement
aménagée dans une niche du mur oriental, en direction de Jérusalem,
mais l'estrade d'où se font les lectures n'est pas placée au milieu de
l'espace libre comme c'est aujourd'hui l'usage : la bimah est reportée
à l'autre extrémité de la pièce et elle est surélevée au point de
former le centre d'une tribune de la hauteur d'un premier étage, à
laquelle on accède par deux escaliers de part et d'autre de la bimah,
surmontée d'un baldaquin. Les deux foyers principaux du culte, l'arche
et la tribune de lecture, se trouvent donc situés aux deux extrémités
d'un axe central suivant un parti bipolaire qui ne se retrouve que dans
certaines synagogues d'Italie, pays avec lequel les Juifs d'Avignon et
du Comtat avaient d'évidentes affinités.
Lors
de la reconstruction entreprise en 1766, quelques Juifs d'esprit
novateur avaient suggéré qu'on pourrait profiter de l'occasion pour
changer le lieu d'où les femmes suivaient le culte afin de leur rendre
la situation moins inconfortable. Le projet est exposé dans une requête
présentée à l'Inquisiteur pour qu'il donne son approbation à divers
travaux supplémentaires qui n'avaient pas été prévus dans le devis
initial de 1765 : à la fin du document, il est dit "que leurs femmes et
filles pourraient assister aux exercices de leur Ecole ..."
L'autorisation
demandée fut accordée par décision de l'Inquisiteur au 16 décembre 1766
mais le projet ne fut pourtant pas réalisé à cause de l'opposition des
traditionalistes qui s'indignèrent d'apprendre que quelques esprits
avides de nouveauté avaient pu avoir l'idée incongrue de proposer un
tel changement
Mais
l'accident le plus grave se produisit en 1845. Un incendie se déclara
accidentellement dans la partie inférieure du bâtiment, celle qui
servait autrefois pour les femmes et qui n'était plus utilisée pour le
culte puisque celles-ci suivaient désormais les offices depuis les
tribunes aménagées dans la salle du haut. Ces locaux vacants avaient
été loués comme entrepôt à un épicier du quartier et c'est là que, le
24 novembre 1845, à huit heures du soir, le feu éclata et se communiqua
rapidement à tout l'édifice, le détruisant totalement, y compris la
collection des 42 rouleaux de Sepher Torah. La municipalité de cette
époque, dirigée par le maire Poncet, entreprit de faire reconstruire
l'édifice aux frais de la ville. C'est l'architecte Joffroy qui en
fournit les plans et il imagina une disposition totalement différente
de l'ancienne. C'est celle que nous connaissons aujourd'hui car la
synagogue, achevée en 1848, n'a plus été modifiée substantiellement
depuis cette époque.